Couverture de l'ouvrage : Tuer les gens, tuer la terre de Bruno Dellaporta et Faroudja Hocini

Éditions COMPAGNONS D’HUMANITÉ

Tuer les gens, tuer la terre

passion euthanasique et crise écologique

Un ouvrage de Bruno Dallaporta et Faroudja Hocini, une recen­sion de Francis Jubert.

Un titre qui interpelle

Le titre de l’ouvrage inter­pelle par la vio­lence des mots ; le sous-titre « pas­sion eutha­na­sique et crise éco­lo­gique » inter­roge plus qu’il ne dérange. Il pro­longe la ques­tion sou­le­vée par Isabelle Marin et Sara Piazza dans leur propre livre à pro­pos de l’euthanasie : un pro­grès social à mettre au compte de nos socié­tés libé­rales ou bien le signe pro­fond d’une déré­gu­la­tion sym­bo­lique ? Contrairement à ce qu’annonce le ban­deau du livre, « L’euthanasie et son angle mort », c’est davan­tage à l’exploration des ter­ri­toires incon­nus qu’habitent les per­sonnes arri­vées à l’âge de la fra­gi­li­té ou ren­dues vul­né­rables par les cir­cons­tances de la vie (mala­die, pré­ca­ri­té, grand âge…) que nous entraînent Bruno Dallaporta et Faroudja Hocini, qu’à une réflexion sur le main­tien ou la sup­pres­sion de l’interdit de tuer. Sur ces ter­ri­toires qu’ils nous aident à défri­cher – jus­te­ment appe­lés « éco­sys­tèmes vul­né­rables » – pré­valent selon eux de nou­velles valeurs qui sont en train d’émerger, « les valeurs du soin ». Elles des­sinent les contours d’une socié­té qu’il reste à inven­ter, où les formes de vie, qu’elles soient vul­né­rables ou âgées, devien­draient des valeurs de vie. En son sein, les soi­gnants s’attacheraient à « soi­gner humain » et à rendre le monde plus habi­table, celui des hommes et de leur environnement.

Structure du texte

Nos deux méde­cins-phi­lo­sophes ont divi­sé clas­si­que­ment leur livre, en trois parties.

Dans une pre­mière par­tie, qui se veut didac­tique, le Dr Dallaporta s’attache à mon­trer – comme l’avait fait en son temps lors d’une audi­tion mémo­rable Suzanne Rameix –, qu’il existe cinq situa­tions qui unissent l’acte médi­cal et la mort : l’abstention, l’analgésie, les limi­ta­tions et arrêts de trai­te­ment, le sui­cide assis­té et l’euthanasie. Il fait obser­ver que les trois pre­mières situa­tions condui­sant à la mort sont net­te­ment dis­tinctes quant à l’intention pour­sui­vie des deux der­nières et que dans les pays qui consi­dèrent qu’il n’existe pas de limite véri­table entre ces dif­fé­rentes situa­tions, l’interdit fon­da­men­tal de don­ner la mort tombe.

Comme beau­coup de ses confrères, ce méde­cin néphro­logue estime que la France devrait main­te­nir cet inter­dit dans la mesure où elle dis­pose grâce à la loi Claeys Leonetti (droit à la séda­tion) de tout l’arsenal thé­ra­peu­tique per­met­tant aux soi­gnants de faire face pra­ti­que­ment à toutes ces situa­tions. Encore faut-il qu’ils aient acquis lors de leurs études les com­pé­tences néces­saires en séda­tion et anal­gé­sie : « Ce n’est pas tant une nou­velle loi sur la fin de vie qu’il est urgent d’écrire, mais une loi impo­sant des for­ma­tions aux méde­cins sur la fin de vie. »

Ces remarques limi­naires faites, Bruno Dallaporta fait un rap­pro­che­ment sai­sis­sant entre la situa­tion catas­tro­phique des finances de la France, sa dette abys­sale, le vieillis­se­ment de sa popu­la­tion et la « pous­sée eutha­na­sique » : « la ten­ta­tion pour­rait deve­nir forte, dit-il, de vou­loir éli­mi­ner par les voies eutha­na­siques le grand âge oné­reux, de faire com­prendre à cette popu­la­tion qu’elle est une charge pour une socié­té qui pense en termes de coût et de ren­de­ment. » Il estime que si la socié­té se mon­trait plus hos­pi­ta­lière vis-à-vis des per­sonnes âgées et des per­sonnes en posi­tion de dépen­dance avan­cée, par­ti­cu­liè­re­ment sen­sibles aux « impli­cites » induits par cer­tains dis­cours les concer­nant, moins d’1 % d’entre elles feraient des demandes de mort renouvelées.

Dans une seconde par­tie, nous assis­tons à un dia­logue nour­ri entre Faroudja Hocini et Bruno Dallaporta qui donne à la pre­mière l’occasion de mon­trer que sa dis­ci­pline, la psy­chia­trie, qui se situe à mi-che­min entre le modèle médi­cal et les sciences humaines, va per­mettre à l’autre dans sa sin­gu­la­ri­té de res­ter humain, d’ « exis­ter autre­ment que comme chose dou­lou­reuse » et peut l’aider à déployer une « géo­gra­phie inté­rieure » dans laquelle il était inca­pable de se pro­je­ter aupa­ra­vant : « Contre les cer­ti­tudes, nous main­te­nons l’inquiétude, dit-elle, car c’est celle de la vie psy­chique et de la vie tout court ».

Dans la troi­sième et der­nière par­tie de ce livre, nos auteurs se livrent à une sorte de diag­nos­tic civi­li­sa­tion­nel : nos socié­tés sont-elles prêtes pour un nou­vel huma­nisme. Ils se demandent, comme avant eux Isabelle Marin et Sara Piazza, si l’euthanasie est vrai­ment un pro­grès, mais ne serait pas plu­tôt « la der­nière avan­cée vers un ultra­li­bé­ra­lisme prô­nant un indi­vi­du auto­nome, iso­lé et consom­ma­teur jusqu’à la toute fin ».
Contre ce qu’ils appellent la « ratio­na­li­té néo­li­bé­rale qui déferle sur les hôpi­taux », ils veulent faire entendre une troi­sième voix, celle des soi­gnants et du prendre soin, qui cor­res­pond à « la res­pon­sa­bi­li­té à l’égard de la vul­né­ra­bi­li­té, à l’hospitalité soi­gnante, à l’habitabilité com­mune, à la véri­té de la ren­contre, aux recon­nais­sances réci­proques, hors de tout cal­cul mar­chant », notam­ment vis-à-vis des plus âgés au regard des­quels nous avons contrac­té une « dette anthropologique ».

Notre point de vue

Un livre sur­pre­nant autant que décon­cer­tant qui donne une nou­velle colo­ra­tion à l’écologie humaine. Un bel exemple de pen­sée com­plexe qui conduit son lec­teur à élar­gir son champ de conscience et à se posi­tion­ner dans un monde où « tout est mon­té à l’envers ».

Qui sont les auteurs ?

Faroudja Hocini est psy­chiatre-psy­cha­na­lyste à l’hôpital Sainte-Anne (GHU Paris psy­chia­trie & neu­ros­ciences), cher­cheur asso­cié à la Chaire de Philosophie à l’Hôpital, doc­to­rant en phi­lo­so­phie contem­po­raine à l’université Paris-Sorbonne, ensei­gnante – cher­cheur asso­cié en psy­cho­pa­tho­lo­gie au Centre de Recherche Psychanalyse, Médecine et Société (CRPMS) à l’Université Paris Cité, membre du conseil scien­ti­fique de la Fondation Zoein.
Bruno Dallaporta est doc­teur en sciences et éthique médi­cale, méde­cin néphro­logue à la Fondation Santé des étu­diants de France, créa­teur du mou­ve­ment « la riposte poé­tique », auteur du livre Prendre soin du pro­chain, prendre soin du loin­tain (Bayard, 2021) et d’un pro­chain livre à paraître en 2024 éga­le­ment : Confidences d’un méde­cin sur l’acharnement thé­ra­peu­tique, co-écrit avec Faroudja Hocini.

Qu’en pense la critique ?

L’Encéphale on line (1er mars 2024) écrit : « Loin des oppo­si­tions habi­tuelles pour/​contre, progressistes/​conservateurs, qui orientent les débats sur la dépé­na­li­sa­tion de l’euthanasie et du sui­cide assis­té, Bruno Dallaporta et Faroudja Hocini pro­posent ici une ana­lyse fine des pré­sup­po­sés ani­mant les camps qui se font face. » Voir ici : Le coin des libraires.

La ver­sion en ligne de la revue La Croix titre, dans la rubrique Actualités /​À vif : Euthanasie pour des troubles psy­chia­triques : « Quand les portes seront ouvertes, il sera trop tard »…

Tuer les gens, tuer la terre a été publié le 9 avril 2024 par les édi­tions des Compagnons d’humanité,
232 pages – ISBN-13 : 978 – 2493296191

Documents associés

Voir le pod­cast de Faroudja Hocini et Bruno Dallaporta : « Alors, on s’pose »

Publié le 4 juin 2024 – Francis Jubert

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