DES LIVRES EN PARTAGE
Euthanasie : un progrès social ?
d'Isabelle Marin et Sara Piazza
Éditions FEED BACK
Euthanasie : un progrès social ?
Un ouvrage d’Isabelle Marin et Sara Piazza
Une recension de Francis Jubert
Alors qu’un projet de loi sur la fin de vie est actuellement examiné par le Conseil d’État avant d’être présenté en Conseil des ministres puis discuté par la représentation nationale, Isabelle Marin, ancien médecin de soins palliatifs, et Sara Piazza, psychologue clinicienne, dans un court essai, mais particulièrement incisif, interpellent les politiques de tous bords et à travers eux la société tout entière sur le sens du projet de société que nous voulons collectivement porter pour les plus vulnérables. Aussi provocateur sur le fond que Michel Houellebecq qui s’oppose dans plusieurs de ses écrits à l’euthanasie dont la légalisation serait à ses yeux « un signe d’inhumanité », ce texte stimulant pose des questions fondamentales à toutes celles et ceux qui ont, chevillé au cœur, « le choix de l’humain », écrit dans la préface de cet ouvrage Marie-Georges Buffet, députée honoraire de la 4e circonscription de Seine-Saint-Denis et ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports.
Francis Jubert
Structure du texte
Ce texte, court mais dense, est structuré en quatre grandes parties.
Dans la première partie qui s’ouvre par cette question : « L’euthanasie, progrès social, technique, moral ? », Isabelle Marin et Sara Piazza, qui ont toutes deux côtoyé la grande précarité, expliquent pourquoi elles sont « choquées » de voir l’aide active à mourir prônée par la gauche. Ce serait une trahison de ses idéaux. « Il nous a toujours semblé contre-nature que la gauche défende ainsi un changement sociétal qui serait défavorable aux plus fragiles, aux plus handicapés et même aux plus pauvres ».
Dans une seconde partie consacrée aux peurs de l’individu contemporain, les auteures interrogent, avec l’ambition de les déconstruire à partir de leur expérience clinique, les représentations associées aux deux craintes majeures qui l’habite : celle de souffrir et celle de perdre sa dignité qui sont à l’origine de la demande émergeant de la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté.
La troisième partie de cet essai est divisée en quatre sous-chapitres : pouvoir médical, injonctions sociales et autonomie ; l’euthanasie, une certaine idée du soin ; l’euthanasie, un enjeu de domination économique, la liberté en question ; l’euthanasie et la question du genre. La question de la mort y est discutée sous différents angles à partir du concept de biopouvoir qui renvoie aux mécanismes de contrôle des vies, exercés par la société. « Le problème se pose lorsque c’est le social qui, au lieu d’aider les individus à se projeter et à accepter la vulnérabilité liée à la condition humaine, soutient l’idée que ces vies manqueraient suffisamment de dignité pour être supprimées ».
La quatrième et dernière partie reprend à nouveaux frais la question de départ et s’attache à montrer la responsabilité politique de ceux qui s’apprêtent à voter pour la légalisation de l’euthanasie en faisant fi de la logique du Care, qu’ils avaient su faire prévaloir et de l’idéal humaniste et social qui les habite : « prôner une société illustrée par Soleil vert où nous accompagnerons la mort de nos concitoyens au lieu d’accompagner leur vie ne nous semble pas compatible avec les valeurs de gauche que nous défendons » concluent Isabelle Marin et Sara Piazza.
Notre point de vue
Un ouvrage particulièrement stimulant qui pose une question essentielle, celle de savoir si l’euthanasie s’inscrit dans un projet de progrès humain ou de régression sociale, d’assujettissement à des injonctions sociales et économiques, rapportant la dignité des personnes à leurs performances et à leur utilité pour la société.
Qui sont les auteures ?
Isabelle Marin est docteur en médecine, pneumologue de formation, pionnière des soins palliatifs en France, ancienne responsable de l’EMSP de Delafontaine 93, coordinatrice du LAM Olympiades, ancienne secrétaire général de la SFAP, référente sur la précarité dans le milieu des soins palliatifs
Sara Piazza est psychologue clinicienne et psychanalyste, elle travaille en réanimation et en équipe mobile de soins palliatifs. Elle est présidente du comité local d’éthique du CH de St-Denis.
Qu'en pense la critique ?
Il y a la gauche qui soutient le droit de choisir sa mort au nom de la liberté individuelle. Et celle qui se soucie de la solidarité due aux plus fragiles. « L’euthanasie, un progrès social ? » c’est le sujet de réflexion d’Isabelle Marin et Sara Piazza ( tweet d’Antoine d’Abbundo, Chef de grande rubrique Bioéthique au service France de La Croix-Bayard).
Page après page, argument après argument, la démonstration est claire, la conclusion sans appel : « L’euthanasie n’est ni un progrès social ni l’accomplissement de la marche de l’Histoire, elle est le développement ultime d’une culture capitaliste où l’inutile, le dépendant est prié de quitter la scène, où le soin est réduit à la gestion technique des corps ».
Or, « toute politique est affaire de choix », interpellent Isabelle Marin et Sara Piazza dans cet essai nécessaire. « Quel type de société voulons-nous promouvoir : une société libérale, inégalitaire ou une société solidaire ? »
Alors qu’Emmanuel Macron semble vouloir inscrire le projet de loi sur la fin de vie au crédit de ses actions marquées à gauche, assistera-t-on à un sursaut ? « Les conclusions semblent déjà acquises : quand la France va-t-elle suivre le sens de l’Histoire et autoriser suicide assisté et euthanasie ? », déplorent les deux auteures. On craint de partager leur pessimisme.
Euthanasie : un progrès social ? est paru aux éditions FEED BACK le 19 septembre 2023.
78 pages – ISBN-13 : 9782492359163.
D'autres sources
Le site www.genethique.org, qui est une référence en matière d’actualité bioéthique, consacre plusieurs articles à la question de l’euthanasie.
Vidéo associée
Voir aussi ce témoignage accablant d’Isabelle Marin : Les SDF se cachent-ils pour mourir ? (25 septembre 2023).
Publié le 20 mai 2024 – Francis Jubert