« Prenez soin de votre âme »
Éditions du cerf – Collection Lexio – poche
Prenez soin de votre âme
Petit traité d'écologie intérieure
Un ouvrage de Jean-Guilhem Xerri
Une recension de Francis Jubert
L’auteur de L’Homme augmenté invitait ses lecteurs à lire non pas tant pour apprendre de nouvelles choses, mais « pour se souvenir de qui l’on est ou plutôt devenir ce que l’on est. » Selon Raphaël Gaillard, lire un livre, cet objet associant écriture et lecture, non seulement nous rend plus intelligents, mais « constitue la grande hybridation de l’humanité ». Si maintenant, vous lisez le livre de Jean-Guilhem Xerri, Prenez soin de votre âme, outre son intérêt intrinsèque et le bénéfice intellectuel que vous tirerez de son analyse des racines spirituelles de la crise que traverse notre société, vous verrez que s’il partage le projet humaniste de son confrère, il ne voit pas l’urgence anthropologique de la même manière. À ses yeux, ce n’est pas l’homme qu’il faut augmenter, mais notre vision de la nature humaine qu’il faut élargir. S’il ambitionne comme lui d’aider l’homme à vivre à hauteur de son « humaine condition » (Hannah Arendt), il le fait à partir d’une vision plus holistique, à l’écart du réductionnisme cérébral des neurosciences, s’inspirant de la sagesse pratique des Anciens qui ont développé une véritable « pharmacie de l’âme » avec pour objectif non pas « de soigner les autres, mais de se guérir eux-mêmes ». La lecture de son Petit traité d’écologie intérieure nous fait voir la pertinence de cette « sagesse de vie » dont il valide au quotidien les vertus curatives dans sa pratique de psychanalyste-thérapeute.
L'économie du texte
En introduction, Jean-Guilhem Xerri prend la précaution de signaler que son ouvrage ne requiert pas d’adhésion confessionnelle particulière de la part de ses lecteurs alors même qu’il multiplie les références aux philosophes de l’Antiquité grecque et latine et aux « Pères du désert ». Il fait appel à eux, car, dit-il, ils sont les premiers à avoir élaboré « une classification, une démarche diagnostique et des recommandations thérapeutiques des maladies de l’intériorité. » Au fil des cinq chapitres qui structurent cet essai, son auteur s’efforce de montrer toute l’actualité de leurs conceptions et leur intérêt dans l’arsenal thérapeutique.
Dans le premier chapitre, « Être un humain, on cherche encore » (pp. 14-79), Jean-Guilhem Xerri passe en revue les différentes conceptions de l’intériorité qui se sont succédées et les approches psychothérapeutiques qui leur sont associées et continuent de s’entrecroiser. Les développements les plus intéressants concernent la figure de l’homme neuronal, né avec la révolution des sciences du vivant qui a progressivement effacé celle de l’homme structural, sorte de non-sujet défini par ses déterminismes internes ou externes.
Le deuxième chapitre, « Un humain dont l’intériorité souffre » (pp. 81-134) met en évidence les limites des figures de l’homme aujourd’hui dominantes. Neuronale ou structurale, ces figures contribuent, selon Jean-Guilhem Xerri, à l’avènement d’une société pathogène. Ses membres sont malades, victimes de l’ignorance et à l’oubli de leur être profond. Il conclut ce chapitre en faisant observer que si l’homme veut éviter l’avènement d’un monde inhumain, nous avons à réévaluer notre anthropologie en apprenant à nous regarder autrement.
Le troisième chapitre, « On n’est pas humain : on le devient, ou pas » (pp. 135-211) nous entraîne à la recherche d’une vision plus complète de l’humain qui ne peut pas se réduire à ses dimensions psycho-physiques, mais intègre une dimension spirituelle : « Le corps fonctionne dans une logique d’organes ou de groupe d’organes, le psychisme dans une logique de personne en entier. » Jean-Guilhem Xerri nous fait découvrir quelle est la dynamique de croissance qui caractérise notre vie intérieure et explore les différents mécanismes par lesquels elle peut dysfonctionner et se trouver à l’origine de certaines souffrances intérieures.
Le chapitre quatre, « Des maladies de l’âme à la paix intérieure » (pp. 213-285) brosse un large panorama des maladies d’origine spirituelle systématisé par les Anciens et les Sages du désert. Véritables médecins de l’intériorité, ils ont mis au point des méthodes et des pratiques visant à restaurer et prévenir les déséquilibres, notamment ceux qui engagent la vie de l’esprit, les maladies noopsychiques, d’origine spirituelle. Les Anciens nous indiquent le chemin à suivre, qui tient en trois réalités : le service, la sobriété et la méditation. Autrement dit, « se tourner vers les autres, s’alléger et renouer le contact avec ce qui nous habite. »
Le cinquième et dernier chapitre, « Un patrimoine spirituel à s’approprier aujourd’hui » (pp. 291-373), se veut essentiellement pratique. Jean-Guilhem Xerri s’efforce dans ce chapitre de montrer que, parce que nous ne croyons pas assez en l’homme tel qu’il est et que nous ne prêtons pas assez attention à nous-mêmes, nous sommes plus exposés que jamais à toutes les formes d’addiction laissant l’urgence envahir nos vies au risque de devenir des « imbéciles impulsifs atteints d’une maladie grave : la pléthorite abrutissante zappogène autocentrée et stressante » (C. Petit, Les états d’âme).
Notre point de vue
Ce livre est déconcertant à plusieurs égards, et c’est ce qui en fait tout l’intérêt. On peut, en effet, en faire plusieurs lectures. Les médecins, pas toujours très familiers de l’approche holistique, y trouveront matière à réflexions et à un enrichissement potentiel de leur propre pratique. Ceux qui, professionnellement ou non, côtoient des personnes en recherche de sens ou en souffrance trouveront également d’utiles indications auprès de cet hospitalier qui par son engagement auprès des gens de la rue et des sans-abris en particulier, a fait l’expérience de la pauvreté et de la misère humaine et en a tiré de précieuses leçons de vie pour lui-même : « La misère est absolument inhumaine et nous devons tout faire pour l’éradiquer. La pauvreté, c’est reconnaître que, qui que je sois, je ne peux grandir sans entrer en relation avec autrui. Les pauvres nous rappellent donc qu’il faut savoir faire de notre fragilité une occasion de rencontre » et pour les autres : « c’est le fait d’être présent à l’autre qui l’aide à être présent à lui-même. »
Qui est l'auteur ?
Jean-Guilhem Xerri possède une triple expérience : scientifique, humanitaire et spirituelle.
Il a 58 ans. Ancien interne des hôpitaux de Paris, Biologiste hospitalier, Diplômé de l’Institut Pasteur, Praticien hospitalier devenu psychanalyste-thérapeute,
Master de management ESCP, Adjoint au Directeur de la Stratégie et de la Transformation et Coach interne auprès de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris.
Ancien membre du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), Président d’honneur de l’association « Aux captifs la libération »
Jean-Guilhem Xerri est l’auteur de plusieurs ouvrages dont :
- À la rencontre des personnes de la rue (Nouvelle Cité, 2007)
- Le soin dans tous ses états (DDB, 2011)
- (Re)vivez de l’intérieur, guide pratique de sagesse contemporaine (Éditions du Cerf, 2019)
Qu'en pense la critique ?
« Voici un ouvrage salutaire qui revient aux fondements […] L’auteur, en praticien et soignant avisé, nous invite à regarder de près l’anthropologie des Pères du désert et à nous intéresser à leurs pratiques thérapeutiques. À beaucoup d’égards, ces comportements pragmatiques avaient anticipé nombre de découvertes de notre moderne psychanalyse ; simplement, leur cadre de référence était différent, qui donnait sens à leur pratique, en articulant nature et surnaturel (que l’on a un peu vite sécularisé et mythifié). » Revue Études.
« Le livre d’un psychanalyste-thérapeute hors norme. » Le Point.
Prenez soin de votre âme, Petit traité d’écologie intérieure, de Jean-Guilhem Xerri est paru aux éditions du Cerf, Paris, 2018, 400 p., ISBN 978-2-204-10606-1.
Prolongements et thématiques analogues
Aline Lizotte, La personne humaine (Les presses universitaires de l’IPC, 2007)
Christophe André, Les états d’âme (Odile Jacob, 2011)
François Cheng, De l’âme (Albin Michel, 2016)
Publié le 12 octobre 2024 – Francis Jubert