DES LIVRES EN PARTAGE
« Malades en action,
démocratie sanitaire en question »
de Lucile Sergent
Éditions Érès
Malades en action,
démocratie sanitaire en question
Un ouvrage de Lucile Sergent
Un résumé critique de Denis Mechali
Les nouveaux référentiels d’évaluation de la qualité des établissements de santé, du social et du médico-social publiés par la Haute autorité de santé intègrent désormais la participation comme l’un des critères fondamentaux de la certification. Il s’agit d’apprécier la capacité des professionnels à favoriser l’expression des personnes en vue d’une co-construction des parcours de soins ou d’accompagnements. Ce critère implique une mobilisation des professionnels pour se former. Cet ouvrage pose un regard neuf sur les dispositifs de participation institutionnelle à l’heure où la crise sanitaire questionne le rapport des citoyens au système de santé. Il propose de nouvelles ressources et un outillage pour une réflexion sur la participation des malades et sur les politiques mises en œuvre dans le système de santé actuel.
Une dimension historique
Le livre est écrit par une sociologue et juriste. Elle est elle-même atteinte d’une maladie chronique rare et militante associative dans le cadre de cette maladie. Son livre est à la fois une histoire du mouvement associatif des patients et un état des lieux actuels. Il s’appuie sur des exemples concrets tirés de son propre engagement et des enquêtes par entretiens multiples.
Une dimension militante
Le propos révèle également une dimension militante par le souhait explicite de l’autrice de voir se développer les associations à visée critique ou stimulante d’un système menacé de routines bureaucratiques, ou de maux plus sévères, comme un fonctionnement ultra-libéral commandé par des puissances financières. Au quotidien, en effet, les associations se heurtent de façon fréquente à des réactions d’incompréhension des soignants, comportements défensifs, voire franchement agressifs.
Une dimension optimiste et critique
Enfin, l’ouvrage se veut à la fois optimiste et critique. Certes, les associations font bouger les institutions et les acteurs, parfois d’une façon significative, mais il arrive qu’elles soient instrumentalisées et cantonnées dans des fonctions alibis de faire valoir. « On peut avoir raison et ne pas gagner », dit l’autrice dans les premières pages du livre.
Les associations s’inscrivent actuellement dans un vaste mouvement de démocratie sanitaire. On parle aussi, et plus volontiers, de « démocratie en santé », pour illustrer le fait que la santé dépasse le sanitaire, en s’intéressant à la prévention et aux multiples déterminants environnementaux, culturels, sociaux, qui interagissent avec la santé au sens physiologique ou corporel de ce terme.
L'économie du texte
Le plan d’ensemble suit, au départ du moins, une progression logique de type chronologique et historique. Le premier chapitre retrace ainsi « l’histoire oubliée des mouvements de malades ».
L’autrice insiste sur l’ancienneté de nombreuses revendications, souvent déniées en leur temps et oubliées ensuite, pourtant bien présentes. Elle insiste sur le « rôle du pouvoir dans la construction de ce qui est su ».
Au milieu du XIXe siècle, les préoccupations d’hygiène s’accroissent, avec le constat de poussées épidémiques de maladies comme le choléra dans les classes pauvres de la population. On ne le sait plus, mais 20 000 morts liés au choléra surviennent à Paris en 1849. Ainsi, le « tout à l’égout » se révèlera-t-il à la fois comme un progrès de l’hygiène et un outil efficace pour juguler la progression du choléra. Le premier dispensaire créé pour lutter contre les maladies vénériennes ouvre en 1879. Mais, on constate aussi des oppositions entre un fonctionnement libéral, individualiste des médecins et la volonté de santé publique, qui montre des liens avec un service public, un fonctionnement pensé et conduit par l’état.
Au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, la tuberculose et ses ravages constituent un stimulant important pour le mouvement associatif. Les revendications de soin sont liées rapidement à la demande de reconnaissance de la dignité des personnes atteintes. Les séjours très longs dans les sanatoriums coupent les personnes de leur vie familiale et sociale. Les justifications existent dans quelques cas, mais sont absentes dans d’autres cas, qui évoluent via des luttes militantes.
Dans les colonies aussi, on retrouve cette modalité de gestion de la médecine coloniale, à laquelle s’opposent des revendications de reconnaissance de dignité et d’autonomie.
La guerre de 1914/1918 laisse, en dehors des millions de morts, des milliers de handicapés, de façon multiple, souvent irréversible. Une situation qui constituera un stimulant important, là encore aux implications associatives.
On arrive ensuite à la période des années 1960/1970. Les mouvements des femmes entrainent des mobilisations importantes, notamment pour obtenir l’autorisation de l’avortement. Le lien est assez clair entre les revendications féministes et une demande de démocratisation de la santé. L’époque connaît la fin d’un paternalisme sexiste largement présent, même si les normes restent profondément inchangées. Tout au plus sont-elles plus subtiles, plus nuancées, refaçonnées par un système néolibéraliste qui met l’accent sur la réussite de quelques femmes parmi la multitude. Le carcan de la normalité a donc seulement été occulté. Pour quelque temps…
Dès les années 1980, le SIDA s’impose dans ce cadre comme la pathologie et, n’ayant pas fini de donner des leçons, elle se révèle être une aide méthodologique non seulement pour de nombreuses associations, mais également pour les institutions ou les soignants, qui, de gré ou de force, sont amenés à évoluer.
Le SIDA est d’entrée de jeu emblématique d’une maladie sociétale et médicosociale. Elle déclenche une articulation obligée entre la santé et le social et fait irrémédiablement apparaître les éléments culturels de discrimination, ou l’inverse : l’affirmation de la « fierté » de minorités s’opposant fermement à la discrimination seront au cœur des mouvements associatifs. Le foisonnement d’initiatives est patent et reste bien vivant dans la mémoire collective.
Les avancées de la démocratie sanitaire se font aussi par des initiatives particulières et réussies comme les « États généraux du cancer », puis de la santé (1998). Le philosophe Canguilhem, et d’autres, ont aidé à comprendre des maladies devenant des « faits totaux » bouleversant complètement la vie de la personne, dans ses aspects les plus intimes, sociaux, relationnels, etc. Mais vu ainsi, les experts du réel et de leur propre vécu, les patients concernés ont une compétence essentielle, sur des pans importants que les professionnels maitrisent moins. Bien sûr, ils en maitrisent d’autres, ceux de « la médecine basée sur les preuves ! » Ainsi, on voit se dessiner les lignes de lien ou de tension possibles.
En 2002, la Loi Kouchner, « Droits des patients » marque une étape essentielle, et qui le reste 20 ans plus tard. En effet, cela actualise des droits, amène à l’idée de contre-pouvoir, s’opposant donc à un « pouvoir médical ». On change de paradigme : il ne s’agit plus de « bonnes pratiques », de conseils volontiers paternalistes du corps médical, mais d’un dialogue d’égal à égal… En théorie du moins.
La force et la durabilité des résistances se mesurent aussi en voyant les décalages entre les mots, les préconisations, et les faits, tels qu’ils sont révélés par de multiples témoignages et de multiples enquêtes sociologiques.
Les mises en place et les développements du mouvement associatif induisent eux-mêmes des regroupements. À plusieurs, on est plus fort, et le regroupement permet aussi des économies d’échelles, des mises en œuvre regroupées qui seraient impossibles à une seule association, surtout de petite taille… Le CISS, collectif inter associatif pour la santé, est créé en 1996, l’Unaas devenu FAS/France assos santé en 2016.
Les pouvoirs publics favorisent l’organisation, mais cherchent aussi à le réguler, parfois à le contrôler. Ainsi, en 2006 est mise en place une commission d’agrément des associations, avec une reconnaissance et une possibilité de siéger dans divers lieux comme une association reconnue, seulement si on a obtenu cet agrément. Le label peut être utile, pour éviter des dérives financières ou de gestion, avec un « président d’association dictateur », parfois nommé « à vie », des dérives sectaires dans quelques cas également. Mais, le contrôle peut aboutir à un « goulot d’étranglement » de la vitalité associative, d’abord par le biais de cet agrément, et ensuite par le biais des financements associatifs, liés à la réponse à des appels d’offres, parfois très cadrés, voire « normatifs »… Pour donner un reflet chiffré, parmi les associations agréées en 2022, 68 associations sont nationales, 265 sont régionales.
Il peut s’agir d’un simple regard sur la gestion, mais parfois les associations se veulent contre-pouvoir, avec des résultats évidemment mitigés. En tout cas, on passe d’une vision de « droits individuels », revendications individuelles, à un droit collectif, des revendications plus larges et à vocation plus pérenne. C’est désormais un fait évident : la démocratie sanitaire s’installe.
Et les choses avancent progressivement. Parfois, des mouvements d’accélération surviennent, au point de sembler devenir de nouvelles normes. Ainsi, l’expertise patient, expert de sa pathologie, est reconnue, ce qui induit l’idée d’une association entre divers savoirs : les savoirs techniques ou experts, les savoirs profanes ou « expérientiels ».
Des liens ou des conventions avec l’assurance maladie permettent occasionnellement de faire entrer cette expertise dans des évolutions de remboursement, voire d’inscription de dispositifs ou de médicaments à la nomenclature des produits agréés, et parfois remboursés.
L’obstétrique voit également se développer des associations autant expertes que militantes. Le CIANE, collectif pour la naissance, bouscule des pratiques habituelles n’associant pas les femmes concernées, ni à une information assez ouverte, ni encore moins à une décision partagée dans certains cas. Le droit à l’avortement illustre bien cette intrication entre une lutte privée, individuelle, intime, et des enjeux collectifs pour une reconnaissance, puis l’organisation d’un accès concret à l’interruption de grossesse.
L’autonomie des patients se heurte parfois aux intérêts des firmes pharmaceutiques, certaines réponses à des enquêtes des firmes pouvant être vues comme un « travail gratuit au service de…. »
Une association comme Renaloo, consacrée à l’insuffisance rénale terminale, mais également les actions possibles de prévention et de dépistage précoce, illustre bien l’efficacité induite. Certes, les tensions sont nombreuses, liées à une vision clairement « politique » des besoins en santé. Renaloo a mené des enquêtes de qualité montrant la supériorité de la greffe rénale sur la dialyse au long cours pour la qualité de vie des patients, et le fait que les choix ne sont pas toujours neutres et fondés sur des critères scientifiques. Parfois un critère de rentabilité, non reconnu, est à l’œuvre. La revendication peut aller dans les deux sens : accélération de mise à disposition d’un progrès, mais aussi rapidité de retrait d’un produit ou dispositif faisant la preuve de sa dangerosité, ou d’un mauvais rapport efficacité versus dangers. Dans notre démocratie où la communication est devenue forte et parfois essentielle, la fonction « plaidoyer » des associations peut être précieuse et efficace. La vigilance et la lucidité peuvent aider aussi à comprendre les deux sens possibles d’un patient autonome et responsable. Excellente chose si la personne accroit son « pouvoir d’agir » (empowerment), mais défausse abusive si la personne devient responsable de sa pathologie. On peut ainsi, pour des raisons morales, ne plus rembourser les soins d’un alcoolique qui continue à boire ou d’un cardiaque qui continue à fumer.
Dans le paysage contrasté actuel, où les réalités sont souvent en « patch work », le processus d’implication des patients et des associations est parfois en dynamique véritable, de type « gagnant gagnant », mais parfois encore dans l’ancien schéma domination/soumission ou participation en trompe l’œil, de type « alibi ». Un piège supplémentaire existe par la méconnaissance complète de nombreux soignants dans un lieu donné de ce qu’est une commission des usagers, quel est leur rôle et leurs droits. Dans le même sillage, la médiation auxquels des patients peuvent avoir recours s’ils se plaignent d’un soin et d’éléments relationnels, est un outil potentiel, souvent sous-utilisé, ou connu de façon caricaturale, comme une sorte d’outil à donner toujours raison aux patients, et toujours tort aux soignants, et parfois franchement inconnu.
Même des structures comme les « comités d’éthique intra-hospitaliers, sont parfois utilisés dans un « entre-soi » des professionnels, sans que les patients ou les professionnels aient leur mot à dire.
Les choses évoluent parfois grâce à un outil managérial qui peut être efficace, les procédures de certification des hôpitaux, par des experts compétents mandatés par l’agence régionale de santé. Les « grilles à remplir » entre l’existant et les mises en œuvre sont souvent d’utiles moyens de faire progresser les choses, notamment dans ce domaine de l’implication des usagers, directement ou par le biais d’associations de représentants.
Conclusion
Corporatisme des médecins, instrumentalisation de la participation, participations « cosmétiques », aux limites de la philanthropie. Les associations ont à prouver leur vitalité par l’affirmation, les « pas de côté » pour éviter les pièges sans entrer dans des oppositions frontales, au plus un « evidence base activisme », mais moins dans une « désobéissance civile », qui est parfois une tentation face à une inertie puissante, mais dont les effets pervers sur le fonctionnement démocratique sont vite manifestes.
L’auteure du livre plaide sans ambiguïté en faveur de la vitalité des associations, l’élargissement de l’espace démocratique, le développent continu de « co-constructions » réelles…
Juriste et sociologue de formation, Lucile Sergent est patiente experte, diplômée de l’université des Patients (Sorbonne Médecine). Elle est membre du bureau de l’association SED in France et anime le compte Instagram @viedepatient.
Malades en action, démocratie sanitaire en question est paru aux éditions Érès le 9 février 2023.
144 pages – ISBN : 978-2749276144
D'autres lectures
La Revue du praticien (en ligne) :
Quand les malades se mobilisent : la santé comme enjeu politique.
Lucile Sergent, 12 octobre 2023
Journal Le Monde (en ligne) :
Participation de patients au système de santé : la démocratie sanitaire revisitée
Une chronique de Sandrine Cabut,
parue le 16 février 2023.