Bienvenue dans notre nou­velle caté­go­rie d’ar­ticles inti­tu­lée « Fil Rouge » ! Cette sec­tion est conçue pour enri­chir et appro­fon­dir les sujets abor­dés dans nos articles prin­ci­paux. Elle offre des com­plé­ments d’in­for­ma­tion pré­cieux ain­si que des réflexions ins­pi­rantes qui vous per­met­tront de mieux com­prendre et d’ex­plo­rer les thèmes qui vous pas­sionnent. Bonne lecture…

Salman Rushdie comme figure de la bibliothérapie

Les mots peuvent gué­rir, ins­pi­rer et redon­ner du sens

La manière dont Salman Rushdie aborde son agres­sion, que ce soit à tra­vers ses écrits (Joseph Anton, Le Couteau) ou lors de ses inter­ven­tions publiques, illustre par­fai­te­ment le concept de biblio­thé­ra­pie : l’idée selon laquelle la lit­té­ra­ture peut deve­nir un vec­teur de gué­ri­son, de rési­lience et de trans­for­ma­tion. En subli­mant sa dou­leur par la fic­tion, il explore non seule­ment la rési­lience et la condi­tion humaine, mais offre éga­le­ment à ses lec­teurs une forme de cathar­sis face à la vio­lence. Son enga­ge­ment lit­té­raire se trans­forme ain­si en un acte de résis­tance : il démontre que les mots peuvent gué­rir, ins­pi­rer et redon­ner du sens aux épreuves les plus sombres de notre existence.

Francis Jubert

1. Substitution du trauma en fiction

Salman Rushdie a tou­jours uti­li­sé la lit­té­ra­ture comme un espace où il peut trai­ter les réa­li­tés dif­fi­ciles de sa vie. Après l’attentat dont il a été vic­time en 2022, il n’a pas seule­ment réagi comme une vic­time ou un mili­tant de la liber­té d’expression, mais aus­si et sur­tout comme un écri­vain qui choi­sit de cana­li­ser sa dou­leur et ses inter­ro­ga­tions à tra­vers la créa­tion artistique.

Le Couteau porte l’empreinte de cet évé­ne­ment trau­ma­tique en l’interrogeant sous un angle plus large :

  • Qu’est-ce que cela signi­fie de sur­vivre à une ten­ta­tive de meurtre ?
  • Comment conti­nuer à vivre après un tel événement ?

En trans­for­mant son expé­rience per­son­nelle en une œuvre lit­té­raire, Salman Rushdie opère une forme de biblio­thé­ra­pie sur lui-même. L’écriture devient un exu­toire et un moyen de com­prendre l’impact de la vio­lence sur son iden­ti­té, sa mis­sion artis­tique et son rap­port au monde.

2. La lecture comme outil de guérison

Salman Rushdie sou­ligne sou­vent l’importance des his­toires pour tra­ver­ser les moments dif­fi­ciles. Après son agres­sion, il a par­lé de la manière dont les livres l’ont aidé à recons­truire son équi­libre men­tal. La lec­ture, pour lui comme pour ses lec­teurs, agit comme un moyen de se recon­nec­ter au monde, de retrou­ver un sens à la vie et de dépas­ser la peur. Son œuvre invite ses lec­teurs à trou­ver dans la fic­tion une forme de cathar­sis ou de réflexion face à la vio­lence et au chaos du monde.

3. La création comme résistance

Pour Salman Rushdie, conti­nuer à écrire après l’attaque est une forme de résis­tance. La biblio­thé­ra­pie ne se limite pas à un pro­ces­sus de soin le concer­nant per­son­nel­le­ment ; elle devient éga­le­ment un acte poli­tique. À tra­vers ses écrits, Salman Rushdie refuse de céder à la ter­reur ou à l’autocensure.

En subli­mant son expé­rience dans une fic­tion qui inter­roge la condi­tion humaine, l’é­cri­vain nous montre que la lit­té­ra­ture peut ser­vir de rem­part contre la bar­ba­rie, en offrant aux indi­vi­dus un moyen de trans­cen­der leurs dou­leurs indi­vi­duelles pour les trans­for­mer en quelque chose de col­lec­tif, uni­ver­sel et por­teur de sens.

Liens avec la bibliothérapie

Pour Salman Rushdie lui-même

L’écriture pro­pre­ment dite du livre Le Couteau consti­tue une forme d’auto-thérapie. Elle lui per­met de com­prendre et de redé­fi­nir son iden­ti­té après l’agression, de récon­ci­lier son pas­sé avec son pré­sent et de reprendre le contrôle de son récit personnel.

Pour ses lecteurs

La lec­ture des œuvres de Salman Rushdie agit comme un miroir thé­ra­peu­tique pour ceux qui cherchent à faire face à leurs propres trau­ma­tismes. Ses récits, riches en méta­phores et en réflexions phi­lo­so­phiques, offrent des outils pour com­prendre la com­plexi­té de la rési­lience, de la peur et de la sur­vie dans un monde mar­qué par la violence.

La littérature comme ouverture

Salman Rushdie incarne l’idée que la lit­té­ra­ture peut non seule­ment répa­rer les bles­sures psy­cho­lo­giques, mais encore offrir une pers­pec­tive d’espoir. En racon­tant et en par­ta­geant son his­toire, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, il invite ses lec­teurs à ne pas lais­ser la peur les domi­ner, mais à trou­ver dans les mots une forme de libération.

4. Conclusion

La manière dont Salman Rushdie a vécu et trans­for­mé son agres­sion illustre magni­fi­que­ment la puis­sance répa­ra­trice de la lit­té­ra­ture. Non seule­ment il uti­lise l’écriture pour se recons­truire, mais il montre éga­le­ment que la fic­tion peut per­mettre à cha­cun de trans­cen­der ses propres bles­sures. Par ce biais, il rejoint l’essence même de la biblio­thé­ra­pie : la convic­tion que les récits, qu’ils soient écrits, lus ou par­ta­gés, pos­sèdent un pou­voir trans­for­ma­teur capable de gué­rir les bles­sures invi­sibles et de réaf­fir­mer l’humanité dans les moments les plus sombres.

AUTRE SOURCE D’ANALYSE

Nayla Chidiac, L’écriture qui gué­rit, Traumatisme de genre et lit­té­ra­ture,
Odile Jacob, jan­vier 2025

« Depuis le début des années 2000, Rushdie vivait libre aux États-Unis. Jusqu’au ter­rible 12 août 2022 où un homme lui assé­na 12 coups de cou­teau. Il en échap­pa de jus­tesse, mais per­dit un œil. Salman Rushdie a trans­for­mé ce cha­pitre sombre de sa vie en une œuvre vibrante, Le Couteau. Il s’est lan­cé dans l’é­cri­ture de cet épi­sode trau­ma­ti­sant – « Je me suis vu mou­rir » -, non pas pour le revivre, mais pour deve­nir, comme il le dit, le « marion­net­tiste, et l’a­gres­seur la marion­nette ». Au fil des pages tein­tées de l’hu­mour de Salman Rushdie, je découvre com­ment l’acte d’é­crire lui a per­mis de s’ap­pro­prier son récit. Je vois, mise en œuvre, la capa­ci­té d’u­ti­li­ser le médium écri­ture, d’une pos­ture de vic­time pas­sive à celle de sur­vi­vant actif et, enfin, d’homme vivant. Rushdie offre à ses lec­teurs un témoi­gnage puis­sant sur la force de l’ex­pres­sion créa­tive face à la vio­lence. Il relate que Le Couteau est certes l’his­toire du cou­teau qui l’a agres­sé, et par ailleurs celle d’un livre qui devient son cou­teau face à l’a­gres­seur. Écrire devient son arme. « L’amour aus­si », ajoute-t-il. Comme si la tra­ver­sée de Thanatos à Éros se fai­sait par l’é­cri­ture, depuis le récit de la mort au récit de la vie, Le Couteau de Rushdie illustre les pro­pos de mon ouvrage en un qua­tuor : ren­con­trer la réa­li­té de la mort, écrire, vivre et aimer. L’écriture per­met le fran­chis­se­ment de l’en­fer. Dante n’est jamais loin. »

« À l’ins­tar de Dante Alighieri dont l’œuvre emblé­ma­tique, La Divine Comédie, trans­cende le temps, chaque indi­vi­du peut trou­ver refuge et récon­fort dans les mots. […] La puis­sance du lan­gage peut don­ner un sens aux épreuves les plus dif­fi­ciles et aux peines les plus sombres ».

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Nayla Chidiac est doc­teur en psy­cho­pa­tho­lo­gie et psy­cho­logue cli­ni­cienne. Elle a fon­dé des ate­liers d’écriture thé­ra­peu­tique à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Auteur du livre de réfé­rence des­ti­né aux pro­fes­sion­nels Ateliers d’écriture thé­ra­peu­tique (Elsevier-Masson), spé­cia­liste du trau­ma et de l’écriture thé­ra­peu­tique, elle est for­ma­trice et EMHS (External Mental Health Specialist) pour l’ONU et ancienne experte près le TGI de Paris. Elle est l’auteure de l’ou­vrage Les bien­faits de l’écriture, les bien­faits des mots aux édi­tions Odile Jacob et de cinq recueils de poé­sie.
Source : Éditions Odile Jacob.

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Article publié le 13 avril 2025 – Francis Jubert – gdc 
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