Viktor Frankl,logothérapie,homme

Éditions Resma – Le fait humain

La psychothérapie et son image de l’homme

Un ouvrage de Viktor E. Frankl
Une recen­sion de Francis Jubert

Brillant psy­chiatre autri­chien res­ca­pé des camps de la mort, Frankl est l’au­teur de nom­breux ouvrages, dont une petite dizaine écrits en fran­çais, dans les­quels il témoigne de son expé­rience pra­tique de la psy­cho­thé­ra­pie fon­dée sur le sens. Convaincu que l’être humain est mû par une quête de sens, Frankl est le fon­da­teur d’une nou­velle approche thé­ra­peu­tique, la « logo­thé­ra­pie », qui met l’ac­cent sur la dimen­sion spi­ri­tuelle ou « noo­lo­gique » de la per­sonne humaine. Dans La psy­cho­thé­ra­pie et son image de l’homme, livre qu’il a conçu comme une ini­tia­tion à la logo­thé­ra­pie, on trouve un bon résu­mé de sa pen­sée. On peut aus­si trou­ver une forte réso­nance entre les thé­ma­tiques abor­dées par « l’hu­main au cœur du soin » et cette forme ori­gi­nale de psy­cho­thé­ra­pie qui consiste à cen­trer et orien­ter l’homme sur le sens concret de son être per­son­nel, sur les don­nées irré­duc­tibles de la nature humaine : la spi­ri­tua­li­té, la liber­té et la responsabilité.

Voulant offrir à ses lec­teurs une pré­sen­ta­tion d’en­semble de ce qu’est la logo­thé­ra­pie, Frankl a décou­pé son ouvrage en cinq chapitres.

1. Dans le pre­mier cha­pitre (pp. 27 – 56), inti­tu­lé « Psychothérapie sys­té­ma­tique ou psy­cho­thé­ra­pie exis­ten­tielle », Frankl com­mence par pas­ser en revue les trois grands piliers de la psy­cho­thé­ra­pie de son temps pour mieux s’en démar­quer : la psy­cha­na­lyse freu­dienne, la psy­cho­lo­gie indi­vi­duelle d’Adler et l’a­na­lyse Jungienne. La logo­thé­ra­pie se veut une thé­ra­peu­tique de l’at­ti­tude per­son­nelle. Elle « s’a­dresse à la per­sonne du patient dont elle s’ef­force de modi­fier l’at­ti­tude face au symp­tôme » par une action autant que pos­sible brève et effi­cace. Raison pour laquelle Frankl pri­vi­lé­gie la méthode de l’in­ten­tion para­doxale qui induit chez le patient névro­sé un chan­ge­ment d’at­ti­tude en profondeur.

2. Dans le deuxième cha­pitre, qui a pour titre « La volon­té de sens » (pp. 57 – 86), Frankl s’étonne que les psy­chiatres négligent cette frus­tra­tion par­ti­cu­lière, pour­tant bien réelle, qu’il appelle la « frus­tra­tion du besoin de sens », c’est-à-dire ce sen­ti­ment d’ab­sence de sens que l’homme a de sa propre exis­tence. La logo­thé­ra­pie comme trai­te­ment orien­té sur le sens va pré­ci­sé­ment s’ef­for­cer, à par­tir de la bio­gra­phie du patient et de l’analyse de son exis­tence, de « faire appa­raître des pos­si­bi­li­tés concrètes de signi­fi­ca­tion », d’é­lar­gir son champ de valeurs. Il sou­ligne notam­ment dans ce cha­pitre l’importance d’a­dop­ter l’at­ti­tude qui convient dans les dif­fé­rentes cir­cons­tances de la vie : la vie ne cesse pas d’être signi­fiante, même au milieu des souf­frances : ce qui compte, c’est la façon de porter.

3. Le troi­sième cha­pitre, « Vers une réhu­ma­ni­sa­tion de la psy­cho­thé­ra­pie » (pp. 87 – 124), passe en revue les pré­sup­po­sés anthro­po­lo­giques des dif­fé­rentes psy­cho­thé­ra­pies en pré­sence. À l’inverse des tenants de l’a­na­lyse exis­ten­tielle, peu expli­citent leur vision phi­lo­so­phique du monde, le biais réduc­tion­niste qui est sou­vent le leur, ce que déplore Frankl : « On rem­place l’o­rien­ta­tion pri­mor­diale de l’homme vers un sens par son appa­rente déter­mi­na­tion par les pul­sions ; on éli­mine son aspi­ra­tion vers les valeurs qui carac­té­rise effec­ti­ve­ment l’homme ». Ce que Frankl ambi­tionne, ce n’est pas tant de rem­pla­cer la psy­cho­thé­ra­pie telle qu’elle a été pra­ti­quée jus­qu’à lui, mais plu­tôt de la com­plé­ter en fai­sant droit à la réa­li­té dans toutes ses dimen­sions. Pour être effi­cace, la logo­thé­ra­pie a en effet besoin d’une image qui ne soit pas cari­ca­tu­rale, mais cor­recte de l’homme.

4. Dans un qua­trième cha­pitre inti­tu­lé « La plu­ra­li­té des sciences et l’u­ni­té de l’homme » (pp. 125 – 142), on retrouve le résu­mé d’une des confé­rences qu’il a don­nées à l’oc­ca­sion du 6ᵉ cen­te­naire de l’u­ni­ver­si­té de Vienne qui lui a don­né l’oc­ca­sion d’ap­por­ter un cer­tain nombre d’é­clai­rages sur la concep­tion qui est la sienne de l’homme qu’il voit comme une uni­té anthro­po­lo­gique mul­ti­di­men­sion­nelle et qui devraient s’a­vé­rer par­ti­cu­liè­re­ment utiles aux pra­ti­ciens : « la mul­ti­di­men­sion­na­li­té doit être prise en consi­dé­ra­tion, non seule­ment du point de vue du diag­nos­tic, mais éga­le­ment dans le choix des moyens thérapeutiques ».

5. Dans le cin­quième et der­nier cha­pitre du livre qu’il inti­tule : « L’Homme en quête d’un sens » (pp. 143 – 160), Frankl tente, comme il l’a­vait fait une pre­mière fois dans une confé­rence don­née à la New Orleans, de faire com­prendre à ses lec­teurs qu’ils vivent à une époque de grande frus­tra­tion exis­ten­tielle. Il voit, en effet, dans sa patien­tèle de plus en plus de per­sonnes qui le consultent pour un nou­veau type de mala­die qui fait écla­ter les caté­go­ries de la psy­chia­trie tra­di­tion­nelle : la « névrose noo­gène », comme il l’appelle. Cette névrose repré­sente moins une mala­die psy­chique qu’une détresse spi­ri­tuelle. Pour gué­rir de cette mala­die qui trouve son ori­gine dans une réponse inap­pro­priée du psy­chisme aux ques­tions de sens posées par l’exis­tence, Frankl recom­mande à ses confrères de recou­rir à la phi­lo­so­phie « comme à un remède ». Ressentir un sen­ti­ment de frus­tra­tion lorsque la vie paraît vide de sens est, en effet, une mani­fes­ta­tion de bonne san­té et tra­duit la réac­tion du « noos » face à la frus­tra­tion de sens à laquelle l’exis­tence le soumet.

Notre point de vue

Jeune ensei­gnant-cher­cheur dans les années 70, j’ai décou­vert un peu par hasard l’œuvre de Viktor E. Frankl. Peu d’u­ni­ver­si­taires fran­çais s’in­té­res­saient à l’é­poque à ses tra­vaux et réflexions. J’ai contri­bué à les faire connaître auprès d’étudiants en phi­lo­so­phie et en psy­cho­lo­gie ain­si qu’aux méde­cins du Centre d’Etudes et de Recherches en méde­cine Psychosomatique (CERPS) sen­sibles à son approche. La tra­duc­tion de la plu­part de ses ouvrages en fran­çais et sur­tout la créa­tion en 2014 de l’Association des Logothérapeutes Francophones (ALF) ont défi­ni­ti­ve­ment ancré la logo­thé­ra­pie dans le pay­sage. Le livre que j’ai sélec­tion­né pour notre groupe de lec­ture n’est qu’une intro­duc­tion à son œuvre, un sur­vol qui don­ne­ra peut-être le goût à cer­tains d’entrer plus avant dans les arcanes de sa pen­sée et de se fami­lia­ri­ser avec sa « cli­nique des valeurs ».

Aspects biographiques

Docteur en méde­cine et en phi­lo­so­phie avec une thèse sur « Le Dieu incons­cient », le Pr Viktor Emmanuel Frankl (1905 – 1997) se spé­cia­li­sa en neu­ro­lo­gie et en psy­chia­trie. De 1933 à 1936, il dirige le « pavillon des femmes sui­ci­daires » de l’hôpital psy­chia­trique de Vienne. Il est démis de ses fonc­tions par les nazis en 1940 pour avoir refu­sé d’eu­tha­na­sier des malades men­taux dans le cadre du pro­gramme d’Aktion T4. En 1942, il est dépor­té. Au len­de­main de sa libé­ra­tion, Viktor Frankl publie : « Un psy­chiatre dépor­té témoigne » qui sera publié en fran­çais en 1967 aux édi­tions du Chalet. En 1950, il fonde la socié­té médi­cale autri­chienne pour la psy­cho­thé­ra­pie. Nommé pro­fes­seur en 1955, il va diri­ger la poly­cli­nique neu­ro­lo­gique de Vienne où il pra­ti­que­ra la logo­thé­ra­pie pen­dant 25 ans. Le pre­mier ins­ti­tut de logo­thé­ra­pie sera fon­dé à San Diego en Californie en 1970.

En complément…

Pour appro­fon­dir la pen­sée de Frankl, vous pour­rez prendre connaissance :

  • des Actes du 2ᵉ congrès natio­nal de l’as­so­cia­tion de logo­thé­ra­peutes fran­co­phones (Paris,15 mars 2014) publiés aux presses uni­ver­si­taires de l’IPC sous le titre : « La quête de sens, une réponse aux souf­frances indi­vi­duelles et collectives ? »
  • du Manuel d’analyse exis­ten­tielle et de logo­thé­ra­pie publié par Dunod en 2018, dans lequel Georges-Elia Sarfati (Directeur de l’École fran­çaise d’a­na­lyse et de thé­ra­pie exis­ten­tielles, char­gé d’en­sei­gne­ment en AEL à la Faculté de méde­cine de Paris et à la Sigmund Freud University de Vienne) détaille l’en­semble des méthodes thé­ra­peu­tiques mises au point par Frankl.

En com­plé­ment, il peut aus­si être inté­res­sant de regar­der sur YouTube la vidéo (en anglais) pro­duite par l’un de ses core­li­gion­naires, le doc­teur Henry Abramson, qui décor­tique les dif­fé­rentes facettes de l’œuvre de Frankl et s’at­tache à en mon­trer l’originalité.

L’édition ori­gi­nale alle­mande du livre de Viktor E. Frankl date de 1959. Elle a été publié aux Éditions Hippokrates, à Stuttgart, sous le titre « DasMenchenbild der Seelenheilkunde ». L’édition fran­çaise, aug­men­tée de deux nou­veaux cha­pitres, est publiée à Paris en 1970 par les édi­tions Resma sous le titre « La psy­cho­thé­ra­pie et son image de l’homme » avec ce sous-titre qu’on dirait écrit pour L’humain au cœur du soin : « Pour une réhu­ma­ni­sa­tion de la psychothérapie ».

Article publié le 4 mars 2025 – Francis Jubert – gdc 
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